La cause en bref

L’Oratoire Saint Joseph du Mont Royal c. J.J.

  • La décision
  • Date : le 7 juin 2019
  • Référence neutre : 2019 CSC 35
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : le juge Russell Brown a rejeté les appels (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Martin)
    • Dissidence partielle : le juge Clément Gascon, a recueilli l’accord des juges majoritaires quant à la question de savoir s’il était trop tard pour intenter une poursuite (prescription), et il a conclu que l’action contre la Congrégation pouvait être exercée, mais il a affirmé que les allégations formulées contre l’Oratoire étaient trop vagues et aurait accueilli son appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Rowe)
    • Dissidence : la juge Suzanne Côté aurait accueilli les deux appels; elle  a reconnu (pour des raisons différentes) qu’il n’était pas trop tard pour que JJ intente une poursuite, elle a affirmé être d’accord avec le juge Gascon pour dire que les allégations formulées contre l’Oratoire étaient trop vagues, mais elle a déclaré que JJ n’avait pas démontré l’existence d’un lien de droit entre lui et la corporation La Province Canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix, étant donné que cette dernière n’avait pas encore été créée au moment des abus reprochés.
  • En appel de la Cour d’appel du Québec
  • Renseignement sur le dossier (37855)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs :

La Cour suprême juge qu’une action collective contre un groupe religieux (et une institution qu’il dirigeait) pour des agressions sexuelles pourra aller de l’avant.

JJ affirme avoir été agressé sexuellement par son enseignant et un prêtre durant les années 50. Ces deux personnes étaient membres de la Congrégation de Sainte-Croix. JJ prétend avoir été agressé par son enseignant à l’école, et par le prêtre à l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, alors qu’il était servant de messe. Le prêtre est mort en 2001 et l’enseignant, en 2004.

Pendant des décennies, JJ a gardé le silence sur ces abus. Il dit avoir été victime de cauchemars et de flash-backs pendant des années. Comme il croyait qu’il y avait d’autres victimes comme lui, il a décidé d’entreprendre une « action collective » au Québec en 2013.

L’action collective est un type particulier de poursuite en justice : un groupe de personnes ayant le même type de problème se rassemble pour intenter une poursuite. Dans l’expression « action collective », le mot « collective » décrit l’idée de groupe et le mot « action » correspond à la poursuite. Les actions collectives peuvent avoir une incidence sur un grand nombre de personnes ainsi que sur leurs droits, même si ces personnes n’y participent pas activement. Un juge doit donner sa permission (son autorisation) pour qu’une action collective puisse avoir lieu. Le juge doit seulement se demander si l’action collective respecte les conditions requises pour être soumise aux tribunaux, et non si elle réussira. Il doit supposer que les faits sont véridiques, sauf s’ils sont clairement erronés ou improbables. Une personne agissant comme « représentant » représente le groupe et demande la permission d’exercer une action collective en présentant une demande au tribunal. Dans la présente affaire, JJ voulait agir comme représentant.

JJ prétend que la Congrégation et l’Oratoire étaient directement responsables de ce qui lui est arrivé en raison de leurs propres agissements. Il affirme qu’ils savaient (ou auraient dû savoir) que des abus étaient commis, mais qu’ils ne les ont pas fait cesser, et même qu’ils les ont dissimulés. Selon lui, ils sont également responsables des actes de l’enseignant et du prêtre, parce qu’ils leur ont confié des tâches les amenant à travailler auprès d’enfants.

La Congrégation et l’Oratoire ont plaidé que l’action collective ne devrait pas être autorisée. À leur avis, les membres du groupe ne se trouvent pas dans des situations similaires, car les abus sont survenus dans des endroits différents. Ils affirment que JJ a attendu trop longtemps après le décès des religieux qui auraient abusé de lui, et qu’il n’avait pas présenté suffisamment de faits indiquant que des abus se sont produits. L’Oratoire prétend aussi qu’on ne peut le tenir responsable uniquement parce que des abus se seraient produits sur sa propriété.

Le juge s’est dit d’accord avec la Congrégation et l’Oratoire et a conclu que l’action collective ne pouvait pas être autorisée. Cependant, la Cour d’appel n’a pas partagé cet avis. Les juges de la Cour d’appel ont unanimement conclu que l’action collective contre la Congrégation pouvait être exercée. Une majorité de juges ont conclu que l’action collective contre l’Oratoire pouvait elle aussi être exercée.

Tous les juges de la Cour suprême ont reconnu qu’il n’était pas trop tard pour que JJ intente une poursuite. Ils ont souligné qu’il existe au Québec un nouveau délai de trois ans pour intenter une poursuite si l’auteur ou la victime des abus est décédé. Cependant, la plupart des juges ont affirmé que la règle ne s’applique pas à une poursuite contre des tiers tels que la Congrégation et l’Oratoire; elle ne s’applique qu’aux poursuites intentées contre la succession de l’auteur des abus, ou intentées par la succession de la victime, en cas de décès de l’une de ces personnes. Le fait que les religieux qui auraient agressé JJ soient morts ne l’empêche pas de poursuivre la Congrégation et l’Oratoire pour ne pas avoir empêché les abus ou de ne pas les avoir fait cesser. Quoi qu’il en soit, la plupart des juges ont dit que le délai commençait à courir lorsque la victime réalise que les abus sont à l’origine de son préjudice, ce qui peut se produire bien après le décès de l’auteur des abus. Les juges ont pour la plupart noté que les changements apportés à la loi visaient à faire en sorte qu’il soit plus facile pour les victimes d’abus sexuels d’obtenir justice, et non plus difficile.

La plupart des juges ont conclu que l’action collective pouvait être exercée contre la Congrégation. Les juges majoritaires ont affirmé que les membres du groupe se trouvent dans des situations similaires. Ils veulent savoir si la Congrégation est responsable des agressions sexuelles commises sur des enfants par des membres de la Congrégation auxquels on a confié des tâches les amenant à travailler auprès des enfants en question. Les juges majoritaires ont conclu que le seul fait que les enfants n’aient pas signalé les abus à l’époque ne veut pas dire que la Congrégation n’était pas au courant de ce qui se passait.

Les juges de la majorité ont décidé que l’action collective pouvait être exercée contre l’Oratoire également. L’Oratoire n’est pas poursuivi parce que certaines agressions ont eu lieu sur sa propriété. Il l’est en raison de son lien étroit avec la Congrégation, et parce que ses administrateurs — qui étaient tous des membres de la Congrégation — n’ont pas mis fin aux abus (ou les ont dissimulés).

La présente décision ne signifie pas que JJ a obtenu gain de cause dans l’action collective. Elle signifie simplement qu’un tribunal peut maintenant entendre tous les arguments et rendre une décision à cet égard.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.