La cause en bref
Threlfall c. Carleton University
- La décision
- Date : le 31 octobre 2019
- Référence neutre : 2019 CSC 50
- Décompte de la décision :
- Majorité : le juge en chef Richard Wagner et le juge Clément Gascon ont rejeté l’appel (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Rowe et Martin)
- Dissidence : les juges Suzanne Côté et Russell Brown ont dit que la preuve de décès ne devrait pas avoir d’effet rétroactif sur le droit de M. Roseme à ses prestations de retraite, si bien que Mme Threlfall ne devrait pas avoir à rembourser l’argent à Carleton (avec l’accord du juge Moldaver)
- En appel de la Cour d’appel du Québec
- Renseignement sur le dossier (37893)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
- Explorez la Cour
Si une personne du Québec qui a été portée disparue est retrouvée morte dans les sept ans de sa disparition, cela peut avoir un effet rétroactif sur des paiements faits suivant la prémisse qu’elle était vivante, juge la Cour suprême.
Monsieur Roseme est un professeur. Au moment de sa retraite, il opte pour un régime de retraite mensuel plus généreux. En contrepartie, il accepte que les paiements cessent à sa mort.
En septembre 2007, M. Roseme a 77 ans. Il est aux premiers stades de la maladie d’Alzheimer. Il sort faire une promenade près de chez lui, et ne revient jamais.
Près d’un an plus tard, son ancienne employeuse, Carleton University, apprend la disparition de M. Roseme. Carleton se dit qu’il est sûrement mort. Cela signifie qu’elle n’a plus à verser ses prestations de retraite. Selon elle, l’ancienne conjointe de M. Roseme, Mme Threlfall, doit rembourser la majeure partie des prestations reçues depuis sa disparition.
Madame Threlfall lui souligne toutefois qu’en droit québécois, M. Roseme est un « absent », c’est-à-dire une personne qui vit au Québec et disparaît. On ne sait pas si cette personne vit encore. La loi présume que cette personne est vivante pendant sept ans, à moins que son décès ne soit prouvé avant l’expiration de ce délai. La loi traite l’absent comme s’il est vivant. Il a les mêmes droits (comme celui de toucher des prestations de retraite) et obligations (comme celle de payer son hypothèque) que toute autre personne. Quelqu’un d’autre s’occupe des questions pratiques en son nom. Si l’on ne trouve aucune preuve de décès, la date du décès est officiellement fixée à l’expiration de sept ans à compter de la disparition.
Monsieur Roseme est ainsi un absent à ce moment-là. Rien ne prouve alors qu’il est mort. Carleton doit donc continuer de payer et Mme Threlfall doit gérer les paiements en son nom.
Environ six ans après sa disparition, les restes de M. Roseme sont découverts. Selon le rapport du coroner, sa mort est vraisemblablement naturelle ou accidentelle. La date de son décès est fixée au 11 septembre 2007, le lendemain de sa disparition.
Depuis la disparition de M. Roseme, Carleton a payé presque un demi-million de dollars en prestations de retraite. Une fois la mort de M. Roseme devenue officielle, Carleton a demandé à Mme Threlfall de lui rembourser l’argent. D’après elle, M. Roseme a convenu que les paiements cesseraient à son décès et il est mort en 2007.
Pour différentes raisons, les tribunaux inférieurs ont tous deux affirmé que Mme Threlfall doit rembourser les prestations à Carleton.
Les juges majoritaires de la Cour suprême sont d’accord pour dire que Mme Threlfall doit rembourser l’argent. Selon ces juges, M. Roseme a accepté que le versement des prestations de retraite cesse à sa mort, soit au moment où il est réellement mort, et non à la date ultérieure à laquelle sa mort est constatée.
Le droit québécois a présumé que M. Roseme était vivant pendant les six années suivant sa disparition. Mais la découverte de son corps a établi qu’en réalité, il ne l’était pas. M. Roseme avait droit à ses prestations de retraite alors qu’il était vivant. Ce droit a subsisté quand il est disparu, car il était, en vertu de la loi, présumé vivant. Or, les juges majoritaires ont mentionné que la source du droit de M. Roseme aux prestations de retraite a disparu quand il est mort, même si on ne l’a appris que plus tard. Les juges ont affirmé que, durant la période au cours de laquelle une personne est présumée vivante, si l’on découvre une preuve qu’elle était en fait morte, le droit doit s’appuyer sur le véritable état des choses et s’appliquer rétroactivement.
Il en est ainsi en raison du droit relatif à l’absence et de sa raison d’être. Présumer que la personne est vivante a pour effet de protéger ses intérêts personnels et financiers dans l’espoir qu’elle revienne. Cette présomption assure une stabilité mais laisse planer une incertitude. Après sept ans, le droit et les proches de l’absent ont besoin de certitude. La mort devient alors juridiquement définitive. Il n’en va pas de même, cependant, si la mort est établie durant la période de sept ans. Cela s’explique par le fait que les justifications pour considérer la personne vivante perdent à ce moment leur raison d’être. Dans ce cas, il n’y a plus d’incertitude ni d’intérêt à protéger puisqu’il n’y aura pas de retour de la personne.
M. Roseme n’avait pas droit aux prestations de retraite après sa mort. L’obligation de Carleton de les payer avait pour fondement juridique la présomption qu’il était vivant. Mais ce fondement a disparu au moment où la date réelle de son décès a été découverte (même si personne n’en savait rien à l’époque). En conséquence, Mme Threlfall doit rembourser l’argent qu’elle a reçu au nom de M. Roseme.
Le droit québécois réservait autrefois un traitement différent aux personnes absentes. Elles étaient considérées comme n'étant ni vivantes, ni mortes. Elles étaient déclarés juridiquement mortes après 30 ans de disparition ou à leur 100e anniversaire. L’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994 a changé le droit.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
Explorez la Cour: Les juges de la Cour | Le rôle de la Cour | Visitez la Cour
- Date de modification :