La cause en bref

Fraser c. Canada (Procureur général)

  • La décision
  • Date : le 16 octobre 2020
  • Référence neutre : 2020 CSC 28
  • Décompte de la décision :
    • Majorité : la juge Rosalie Silberman Abella a accueilli l’appel (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Martin et Kasirer)
    • Dissidence : les juges Russell Brown et Malcolm Rowe ont dit être d’avis que le programme de partage de poste visait à aider les employés qui voulaient continuer de travailler mais avaient des responsabilités quant au soin des enfants, et que le seul fait que le programme ne supprimait pas le désavantage ne signifiait pas qu’il était discriminatoire; ils auraient rejeté l’appel
    • Dissidence : la juge Suzanne Côté a affirmé que le régime de pension créait uniquement une distinction à l’égard des personnes qui s’occupent de quelqu’un, et non des femmes en général, et que, comme un tel statut ne constitue pas un motif analogue protégé par la Charte, elle aurait rejeté l’appel
  • En appel de la Cour d’appel fédérale
  • Renseignements sur le dossier (38505)
  • Diffusion Web de l'audience
  • Décisions des tribunaux inférieurs :

Le régime de pension de la Gendarmerie royale du Canada est discriminatoire à l’égard des femmes, juge la Cour suprême.

Mmes Fraser, Pilgrim et Fox étaient des policières au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Elles ont toutes eu des enfants au cours des années 1990. Lorsqu’elles sont retournées au travail, elles ont éprouvé de la difficulté à concilier leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités quant au soin de leurs enfants. Comme la GRC ne leur permettait pas de travailler à temps partiel, Mme Fox a pris sa retraite, tandis que Mme Fraser et Mme Pilgrim ont pris un congé non payé supplémentaire.

En décembre 1997, la GRC a commencé à permettre le partage de poste comme solution de rechange au congé non payé. De cette façon, deux ou trois personnes pouvaient se partager les responsabilités d’un poste à temps plein. Le programme était avantageux à la fois pour les employés et pour la GRC. Les trois femmes se sont inscrites au programme et ont repris le travail. La plupart des membres participant au programme étaient des femmes qui avaient des enfants. La grande majorité d’entre elles le faisaient pour concilier leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités quant au soin de leurs enfants.

Les membres de la GRC cotisent à un régime de pension et reçoivent des prestations de pension lorsqu’ils prennent leur retraite. Plus ils comptent d’années de service et plus leur salaire est élevé, plus leurs prestations de pension sont élevées. Les membres travaillant à temps plein pouvaient, en cas de suspensions ou de congés non payés, « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension, c’est-à-dire comptant pour le calcul de leur pension. Un tel rachat a pour effet d’accroître les prestations de pension. Toutefois, les membres qui partageaient un poste n’étaient pas autorisés à racheter des périodes de service ouvrant droit à pension.

Les employés qui partageaient un poste estimaient que cette situation était injuste. Selon un expert, la GRC était en mesure de modifier le régime de pension afin de permettre à ces employés de racheter des périodes de service ouvrant droit à pension. Un comité de la GRC était lui aussi de cet avis, mais la GRC ne laissait toujours pas les employés qui partageaient un poste racheter des périodes de service.

Mmes Fraser, Fox et Pilgrim affirmaient qu’on devait les autoriser à racheter ces périodes de service ouvrant droit à pension. Selon ces dernières, le régime de pension traitait moins bien les personnes qui partageaient un poste (qui étaient surtout des femmes ayant des enfants) que les autres membres. Elles prétendaient que cette situation contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution du Canada. Suivant le paragraphe 15(1), la loi doit traiter tout le monde également, sans faire de discrimination, notamment sur la base de certaines caractéristiques.

La juge qui a entendu la demande fondée sur la Charte présentée par Mmes Fraser, Fox et Pilgrim a conclu qu’il n’y avait pas eu violation du paragraphe 15(1). Elle a déclaré que si ces dernières étaient désavantagées, ce n’était pas parce qu’elles étaient des femmes et qu’elles avaient des enfants, mais plutôt en raison du choix qu’elles avaient fait. La Cour d’appel a été du même avis.

Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont dit être en désaccord avec la décision des tribunaux inférieurs. Ils ont affirmé que le régime de pension était discriminatoire envers les personnes qui partageaient un poste parce qu’elles étaient des femmes.

La Charte protège certains groupes qui ont des caractéristiques particulières en commun (par exemple la même race ou la même religion). La loi ne peut créer de discrimination à l’égard de certaines personnes sur la base de telles caractéristiques « protégées ». Pour déterminer si une loi viole les droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1), les tribunaux doivent d’abord se demander si un groupe protégé est visé d’une certaine façon par cette loi. Il peut arriver que des lois qui semblent neutres soient néanmoins discriminatoires à l’égard de groupes protégés, parce qu’elle les touche différemment des autres personnes concernées. Les membres d’un tel groupe n’ont pas besoin de démontrer que la caractéristique protégée est, d'une certaine façon, la raison pour laquelle le groupe est plus touché que d'autres. De plus, il n'est pas nécessaire que tous les membres du groupe soient touchés de la même façon. Les tribunaux doivent ensuite se demander si la loi a pour effet de perpétuer ou d’aggraver un quelconque désavantage pour le groupe. Les juges majoritaires ont fait remarquer que de nombreuses attitudes et politiques défavorisaient les femmes par le passé. Même si bien des choses ont changé depuis, des règles comme celles prévues par le régime de pension peuvent continuer de refléter ces torts passés.

Dans la présente affaire, les juges majoritaires ont affirmé que le régime de pension violait le droit à l’égalité des personnes partageant un poste, puisqu’il désavantageait plus les femmes que les hommes. Le fait que le régime n’avait pas pour objectif de causer du tort aux femmes en particulier était sans importance. Ce qui importait, c’était l’effet de ce régime. Les employés qui partageaient un poste étaient en grande majorité des femmes qui participaient à ce programme parce qu’elles devaient s’occuper de leurs enfants. Cette situation perpétuait le désavantage découlant du fait que depuis bien longtemps on attend des femmes qu’elles s’occupent des enfants. Le régime de pension ne permettait pas aux personnes partageant un poste de racheter des périodes de service ouvrant droit à pension, alors que d’autres employés pouvaient le faire. Les femmes se retrouvaient dans cette situation parce qu’elles devaient partager un poste afin de s’occuper de leurs enfants. Les juges majoritaires ont déclaré que les personnes partageant un poste devraient pouvoir racheter toutes les périodes de service leur ouvrant droit à pension.

La Cour a examiné précédemment certains désavantages auxquels font face les femmes en milieu de travail dans les affaires Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale) et Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.