La cause en bref
R. c. Esseghaier
- La décision
- Jugement rendu : le 7 octobre 2020
- Motifs écrits publiés : le 5 mars 2021
- Référence neutre : 2021 CSC 9
- Décompte de la décision :
- En appel de la Cour d’appel de l'Ontario
- Renseignements sur le dossier (38861)
- Diffusion Web de l'audience
- Décisions des tribunaux inférieurs (en anglais seulement) :
- Jugement sur la sélection des jurés (Cour supérieure de justice de l’Ontario)
- Jugement sur la déclaration de culpabilité (Cour supérieure de justice de l’Ontario - non publié)
- Appel (Cour d’appel de l’Ontario)
- Explorez la Cour
Il est possible de remédier à des erreurs commises lors de la sélection du jury si certaines conditions sont remplies, juge la Cour suprême.
En 2015, Messieurs Esseghaier et Jaser ont été déclarés coupables d’infractions de terrorisme en lien avec une série de complots visant à tuer des gens. Un juge les a condamnés tous les deux à l’emprisonnement à vie, avec possibilité de libération conditionnelle 10 ans après la date de leur arrestation. Ils ont interjeté appel de leur déclaration de culpabilité. La Cour d’appel de l’Ontario a annulé les déclarations de culpabilité et ordonné un nouveau procès, concluant que les membres du jury n’avaient pas été choisis régulièrement, c’est-à-dire conformément aux règles applicables à cette fin. La Couronne (la poursuite) a porté cette décision en appel devant la Cour suprême du Canada.
Messieurs Esseghaier et Jaser ont choisi de subir leur procès devant un jury. Au Canada, le jury se compose de 12 personnes (les jurés) qui décident si une personne accusée d’une infraction criminelle est coupable ou non de cette infraction. Les jurés sont sélectionnés au hasard parmi un groupe de citoyens qui ont été convoqués en vue de former un jury. Ce groupe de personnes est appelé le tableau des jurés.
L’avocat de la poursuite ou l’avocat de la défense peuvent s’opposer à la sélection de certaines personnes faisant partie de ce groupe s’ils pensent que celles-ci pourraient ne pas être impartiales. On appelle cela des « récusations motivées ». Il s’agit d’une procédure qui est utilisée pour éliminer des candidats jurés sur la base des réponses qu’ils donnent aux questions qui leur sont posées.
Avant la tenue du procès, l’avocat de M. Jaser a demandé de recourir à la procédure des « récusations motivées » pour déterminer s’il y avait des candidats jurés qui ne pourraient pas être impartiaux au procès, parce qu’ils avaient pris connaissance de reportages sur l’affaire dans les médias avant d’être convoqués, ou parce que les deux hommes inculpés appartiennent à des minorités visibles et sont musulmans.
À ce moment-là, le Code criminel prévoyait deux méthodes distinctes pour déterminer si un candidat juré était partial. Dans les deux cas, on faisait appel à des personnes appelées « vérificateurs », qui avaient pour tâche de décider si chacun des candidats jurés était impartial ou non.
Une des méthodes employées pour décider si une personne faisant partie du tableau des jurés était partiale était le recours à des « vérificateurs par rotation ». Suivant cette procédure, le juge choisissait deux personnes qui servaient de décideurs jusqu’à ce que le premier juré soit sélectionné (le fait qu’une personne avait été sélectionnée signifiait qu’aux yeux des décideurs elle était impartiale). Le premier juré remplaçait alors l’un des deux décideurs (qui était alors libéré et rentrait chez lui). Cette procédure se poursuivait, et chaque nouveau juré choisi remplaçait l’un des vérificateurs, jusqu’à ce que le jury au complet ait été sélectionné. Dans le cadre de cette procédure, tous les candidats jurés restaient dans la salle d’audience pendant que l’on questionnait les jurés potentiels en vue de possibles « récusations motivées » (avec pour conséquence qu’ils pouvaient entendre les réponses données par les autres candidats jurés).
L’autre méthode utilisée pour choisir les jurés consistait à faire appel à des « vérificateurs permanents », c’est-à-dire deux personnes qui étaient choisies par le juge parmi les membres du tableau des jurés et qui décidaient de l’impartialité de tous les candidats jurés. Une fois tous les membres du jury choisis, ces deux décideurs étaient libérés et rentraient chez eux. Durant cette procédure, on demandait à tous les candidats jurés d’attendre à l’extérieur de la salle d’audience pendant la période des questions (de sorte qu’ils ne pouvaient pas entendre les réponses des autres candidats jurés).
Monsieur Jaser souhaitait que la procédure des « vérificateurs par rotation » soit utilisée, et il désirait également que le juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire et fasse sortir les candidats jurés de la salle d’audience durant le processus des « récusations motivées », de crainte que le fait d’entendre les réponses des autres candidats jurés les rende partiaux. Si cette demande ne pouvait être accordée, M. Jaser voulait alors que l’on utilise la procédure des « vérificateurs permanents ».
Le juge du procès a rejeté la demande de M. Jaser sollicitant le recours aux « vérificateurs par rotation ». Il a conclu que les juges qui président des procès n’ont pas le pouvoir d’exclure les jurés non assermentés de la salle d’audience dans les cas où la procédure des « vérificateurs par rotation » est utilisée. Le juge a déclaré que, même s’il avait eu le pouvoir de le faire, il n’aurait de toute façon pas exercé ce pouvoir. Il estimait que si la demande de M. Jaser était accordée, cela aurait pour effet d’exposer les jurés assermentés (c’est-à-dire les personnes déjà choisies comme membres du jury) aux commentaires partiaux susceptibles d’être exprimés par des candidats jurés, ce qui risquerait de compromettre l’équité du procès.
En définitive, le juge du procès a imposé la procédure des « vérificateurs permanents », laquelle constituait l’autre solution demandée par M. Jaser.
Tout comme la Cour d’appel, les neuf juges de la Cour suprême ont conclu que le jury avait été constitué de façon irrégulière. Le juge du procès avait commis une erreur en refusant les demandes de M. Jaser, et ce, pour deux raisons. Premièrement, le juge du procès avait le pouvoir discrétionnaire d’ordonner l’exclusion des candidats jurés de la salle d’audience dans les cas où la procédure des « vérificateurs par rotation » était utilisée. Deuxièmement, la décision du juge de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire était déraisonnable.
En raison de l’erreur qui avait été commise, la Cour suprême a déclaré que le jury n’avait pas été régulièrement constitué dans le cas de M. Jaser, étant donné que les jurés avaient été choisis en faisant appel à des « vérificateurs permanents » plutôt qu’en recourant à des « vérificateurs par rotation » et en faisant sortir les candidats jurés de la salle d’audience. Le jury avait également été constitué irrégulièrement dans le cas de M. Esseghaier, car on lui avait refusé le droit de recourir à des « vérificateurs par rotation ».
L’ensemble des juges étaient d’accord pour dire qu’il est possible d’appliquer une disposition particulière du Code criminel pour remédier à des erreurs commises lors de la sélection des jurés. Ils ont déclaré que les conditions d’application de cette disposition étaient remplies en l’espèce. Bien que la procédure de sélection des jurés appliquée n’ait pas été la bonne au sens strict, elle constituait néanmoins l’une des deux solutions possibles pour protéger le droit d’une personne accusée à un procès équitable devant un jury indépendant et impartial. Toutefois, malgré le fait que MM. Esseghaier et Jaser n’aient pas obtenu la procédure particulière de sélection des jurés qu’ils souhaitaient, la loi exige non pas une justice parfaite sur le plan procédural, mais une justice fondamentalement équitable.
La Cour suprême a rétabli les déclarations de culpabilité prononcées contre MM. Esseghaier et Jaser. Ils pourront maintenant tous deux faire appel de leur déclaration de culpabilité devant la Cour d’appel de l’Ontario pour d’autres motifs.
La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.
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