La cause en bref

R. c. Reeves

La personne qui partage un appareil électronique avec autrui ne peut renoncer aux droits garantis à ce dernier par la Charte, a jugé la Cour suprême. Un homme a vu ses droits garantis par la Charte violés par la police lorsque celle-ci a saisi son ordinateur pour le fouiller avec le consentement de sa conjointe seulement.

Monsieur Reeves n’était pas autorisé à vivre dans le domicile familial après avoir été accusé dans une affaire de violence familiale. La conjointe de M. Reeves a informé l’agent de probation de ce dernier que, l’année précédente, elle croyait avoir vu de la pornographie juvénile dans l’ordinateur personnel qu’ils partageaient. À la suite de ce signalement, un policier s’est présenté au domicile. Il n’était pas muni d’un mandat de perquisition et, à son avis, il ne pouvait en obtenir un, faute de preuve suffisante concernant un crime potentiel. Toutefois, la conjointe de M. Reeves a permis au policier d’entrer et a signé un formulaire l’autorisant à prendre l’ordinateur.

Les policiers ont retenu l’ordinateur pendant quatre mois avant d’agir. Ils n’ont pas fait rapport de la saisie à un juge ou à un juge de paix comme la loi l’exige. Lorsqu’ils ont finalement fouillé l’ordinateur, c’était au moyen d’un mandat irrégulier. Ils ont toutefois trouvé 140 images et 22 vidéos de pornographie juvénile. Monsieur Reeves a été accusé.

L’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que « chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives », ce qui signifie que l’État ne peut perquisitionner, fouiller ou prendre quelque chose ayant un caractère privé sans permission, sauf autorisation expresse de la loi, comme quand les policiers ont un mandat. Il y avait accord pour dire que la police avait violé les droits que la Charte garantit à M. Reeves lorsqu’elle a omis de faire rapport de la saisie et fouillé l’ordinateur au moyen d’un mandat irrégulier. Cependant, M. Reeves a prétendu que la saisie initiale de l’ordinateur constituait également une contravention à la Charte. Selon lui, les violations, considérées ensemble, étaient à ce point graves que les fichiers ne devaient pas être admis en preuve. La Couronne (le poursuivant) a fait valoir que le policier était autorisé à prendre l’ordinateur partagé, car il avait eu la permission de la conjointe de M. Reeves.

Le juge qui a entendu l’argument présenté avant le procès a convenu avec M. Reeves que les éléments de preuve relatifs à l’ordinateur ne pouvaient être utilisés. Sans cette preuve, M. Reeves a été déclaré non coupable. Compte tenu du nombre de contraventions à la Charte, la Cour d’appel a affirmé qu’il s’agissait d’un cas limite, mais que les éléments de preuve devraient néanmoins être admis. Elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

Tous les juges de la Cour suprême étaient d’accord avec le juge saisi de l’affaire avant le procès pour dire que les fichiers ne devraient pas être admis en preuve. Selon eux, le verdict de non-culpabilité devrait être maintenu.

Les juges majoritaires ont affirmé que la police a porté atteinte aux droits que la Charte garantit à M. Reeves en prenant l’ordinateur sans son consentement et sans mandat. Quiconque partage un ordinateur avec une autre personne court le risque que cette dernière ait accès à ses données personnelles et peut-être même qu’elle en informe la police. La loi ne devrait toutefois pas permettre aux policiers de prendre l’appareil ou les données qu’il contient directement, sans le consentement de l’individu ou un mandat. Lorsque deux personnes partagent un ordinateur personnel, l’une d’elles ne peut consentir au nom de l’autre à ce qu’il soit fouillé ou saisi. Seul M. Reeves pouvait renoncer à ses propres droits en matière de vie privée garantis par la Charte, et non sa conjointe.

Lorsqu’ils sont appelés à décider s’il y a eu violation de l’art. 8, les tribunaux mettent en balance l’intérêt de la société quant à la protection de la vie privée et son intérêt à ce que la police puisse appliquer la loi. La véritable question n’est pas de savoir si quelqu’un a enfreint la loi (si des accusations sont portées, il y a généralement de la preuve en ce sens), mais plutôt de savoir si la police est allée trop loin en tentant de trouver la preuve d’un crime. Dans les cas où une enquête policière empiète sur la vie privée d’une personne de telle sorte qu’elle pourrait faire perdre au public la confiance que lui inspire le système de justice, les tribunaux ne permettront pas l’utilisation des éléments de preuve. Bien que cette façon de faire puisse mener à un verdict de non-culpabilité, il est nécessaire de souligner l’importance de protéger la vie privée de tous les Canadiens, y compris ceux qui n’ont jamais été accusés d’avoir commis un crime. De l’avis des juges majoritaires, la police est allée trop loin, car, en plus des deux autres contraventions à la Charte, le policier a pris l’ordinateur personnel de M. Reeves sans sa permission et sans mandat.

Les juges majoritaires n’ont pas décidé de la légalité de l’entrée du policier dans le domicile, puisqu’ils ne se sont pas prononcés quant à savoir si une seule personne peut autoriser la police à entrer dans des espaces communs et les perquisitionner. Il ne s’agissait pas de la question au cœur du pourvoi.

Les appareils que les Canadiens utilisent au quotidien, comme les ordinateurs et les téléphones portables, renferment une grande quantité de renseignements personnels. Ils peuvent aussi être utilisés dans le but d’accéder à d’autres renseignements stockés ailleurs, notamment dans des courriels et des comptes de médias sociaux. Cette décision était importante parce qu’elle avait une incidence sur le droit à la vie privée de tous les Canadiens à l’égard d’appareils partagés.

Le personnel des communications de la Cour suprême du Canada rédige des causes en bref pour aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour; les causes en bref ne font pas partie des motifs de jugement de la Cour et elles ne doivent pas être utilisées lors d’une procédure judiciaire.