Allocution au Conseil de l'Association du Barreau canadien

Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada

Bonjour mesdames et messieurs! C’est avec grand plaisir que je m’adresse aujourd’hui au Conseil de l’Association du Barreau canadien. Il s’agit pour moi d’un moment privilégié où il m’est permis de passer en revue l’année écoulée et de faire état de certains des principaux défis qui se posent à la Cour.

Au cours des douze derniers mois, il s’est passé bien des choses à la Cour suprême du Canada, et comme tout cela a été rapporté, analysé et étudié en profondeur, je crains de ne pouvoir vous annoncer rien qui pourrait vous surprendre. Je pense pouvoir affirmer à juste titre que la Cour, ses juges et le rôle de la Cour dans la vie publique au Canada ont attiré l’attention cette année plus que jamais auparavant.

Deux de mes collègues ont maintenant quitté la Cour. On ne saurait dire que malgré le départ de personnes aussi extraordinaires que le juge Frank Iacobucci et la juge Louise Arbour, la vie continue tout comme avant. Tous deux apportaient aux travaux de la Cour une contribution inappréciable, et leur absence est très perceptible. Certes, leur remplacement est une des principales questions qui ont capté l’attention du public, et vous me permettrez d’aborder brièvement ce sujet.

Dans l’ensemble, les membres de la magistrature n’ont pas participé au débat public au sujet de la meilleure façon de procéder aux nominations à la Cour suprême. Les juges sont restés silencieux, ou peut-être prudents, mais ce n’est pas par manque d’intérêt. Il s’agit d’une question qui nous touche de très près, qui tient à l’essence même de l’indépendance de la magistrature. Je ne dis pas que les juges s’opposent à toute réforme du mode actuel de nomination à la magistrature. Pour les juges canadiens, la nomination de nouveaux juges à la Cour suprême doit avoir comme objectif le plus important de veiller à ce que seules les personnes les plus méritoires soient choisies, indépendamment de toute considération politique ou idéologique. Cette condition est essentielle pour maintenir la confiance du public. Cette confiance repose sur la conviction que seuls les juristes les plus compétents et les plus farouchement indépendants sont appelés à siéger à la Cour suprême du Canada. Quel que soit le mode de nomination des juges, cette fin doit être la seule recherchée.

Au cours de l’année écoulée, je suis intervenue à l’occasion dans le débat, en ma qualité de Juge en chef du Canada, pour réaffirmer le principe que les nominations doivent continuer à reposer uniquement sur le mérite, d’une manière qui ne laisse aucun doute au sujet de l’indépendance et du rôle distinct de la magistrature dans notre démocratie constitutionnelle. À mon avis, dès lors que ce principe essentiel est respecté, il appartient à l’ensemble des citoyens canadiens, représentés par leurs députés, d’examiner et de fixer dans le détail le mode de nomination à la magistrature.

Incidemment, je tiens à signaler ici la contribution remarquable de l’Association du Barreau canadien à cet important débat. L’ABC et son président, M. William Johnson, ont travaillé sans relâche pour proposer des réformes novatrices, pour corriger des hypothèses erronées concernant le rôle de la Cour suprême, et pour appuyer le principe d’une magistrature indépendante du Parlement et du Cabinet. Ce débat a fait ressortir le rôle unique que joue votre Association dans la vie politique de notre pays, et je vous encourage à poursuivre vos efforts en ce sens.

Partout au Canada, le débat public sur cette question a progressé dans un sens qui me rassure, car je constate l’émergence d’un vaste consensus selon lequel la nomination des juges à la Cour suprême ne doit pas devenir un prolongement de la politique partisane. Un des aspects positifs de toutes ces discussions est que maintenant, les Canadiens comprennent mieux le rôle de la Cour et la responsabilité qui lui incombe de donner un sens concret à nos droits constitutionnels abstraits. Et je pense que dans l’ensemble, ces Canadiens mieux informés reconnaissent qu’il est nécessaire de confier à une institution distincte la tâche d’assurer le respect de la Constitution et d’évaluer les choix politiques de notre nation en regard de ses valeurs les plus fondamentales.

Le débat continue d’avancer. Je suis reconnaissante aux partis politiques du Canada qui, dans leur démarche, continuent d’agir de façon responsable en affirmant que la Cour suprême est une institution essentielle dans notre pays démocratique. Je souhaite ardemment que nous puissions accueillir sous peu deux juges éminents comme membres de la Cour. Au vu des différentes étapes préalables à ces nominations, les Canadiens auront la certitude que la Cour suprême demeure le défenseur indépendant du droit et de la Constitution au pays.

Avant de terminer, je tiens à exprimer encore une fois ma préoccupation, et la préoccupation de bien des juges, au sujet de l’état actuel de notre système de justice pénale. Lors de notre rencontre l’an dernier, j’ai abordé un certain nombre d’aspects de la justice pénale qui deviennent de plus en plus inquiétants. L’arriéré et la lenteur du système nous préoccupent toujours, et la procédure du procès devant jury, une des pierres angulaires de notre tradition juridique, continue de susciter la discussion au Canada, tout comme c’est le cas dans les pays du Commonwealth et partout aux États-Unis. Vous savez déjà que le Conseil canadien de la magistrature a publié cette année des Modèles de directives au jury rédigées en langage clair qui peuvent servir à diverses étapes des procès criminels, et il est tout disposé à collaborer à toute activité visant à améliorer l’administration de la justice pénale au Canada. Les Canadiens continuent à évaluer la plupart des éléments de notre système de justice à partir de ce qu’ils lisent dans les journaux et de ce qu’ils voient à la télévision, et la santé de notre système de justice pénale est un des principaux facteurs du maintien de la confiance du public.

Je vous remercie.

Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
Conseil de l'Association du Barreau canadien
Winnipeg, Manitoba
Le 14 août 2004