Moments marquants : La Constitution canadienne
Allocution prononcée par la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
I. Introduction
C’est à la fois un honneur et un privilège de m’adresser à vous aujourd’hui. Le cercle canadien d’Ottawa s’inscrit dans une tradition distinguée de débats sur des sujets d’importance pour le Canada. Je suis heureuse de contribuer un tant soit peu à cette tradition.
Aujourd’hui, j’aimerais vous entretenir de la Constitution canadienne. Rien n’est plus fondamental pour une nation que ce qui la constitue, ce qui forme en quelque sorte son assise. La Constitution répartit les pouvoirs, en l’occurrence entre le gouvernement fédéral, les provinces et les tribunaux. Elle définit également les rapports entre le citoyen et l’État, lequel ne saurait exercer qu’un pouvoir qui y est conforme. Ainsi, la Constitution garantit fondamentalement la légalité.
Cependant, une constitution n’est pas qu’un contrat, elle exprime aussi les valeurs les plus fondamentales d’une nation. Son application doit tenir compte du fait que les valeurs et les attentes évoluent avec le temps. Parfois, l’évolution découle d’une modification législative, tels les fameux Amendements de la Constitution américaine ou la Loi de 1982 sur le CanadaFootnote 1 ayant modifié notre Constitution. Parfois, l’évolution a lieu subtilement, au fil de l’application d’anciennes dispositions à des situations nouvelles. En 1789, dans une lettre à James Madison, Thomas Jefferson exagérait peut-être lorsqu’il affirmait que toute constitution prend naturellement fin au bout de 19 ans puisque [traduction] « la terre appartient toujours aux vivants ».Footnote 2 Néanmoins, il est vrai que chaque génération remanie en quelque sorte la constitution nationale en l’adaptant à sa propre réalité et en lui imprimant sa propre optique.
C’est le cas de la Constitution canadienne. En 2017, nous en célébrerons le 150e anniversaire. C’est en songeant à cet événement qui approche à grands pas que notre constitution m’est apparue comme une suite de récits qui, mis bout à bout, font état de notre parcours national, du passage d’une poignée de colonies à un dominion, puis à un pays pleinement souverain, de l’émergence graduelle d’un mélange unique de valeurs que nous considérons — et le monde aussi — comme des valeurs typiquement canadiennes.
L’histoire constitutionnelle du Canada compte de nombreux chapitres. Au cours des prochaines minutes, je tenterai de vous faire goûter notre histoire constitutionnelle en revenant sur quatre moments qui ont façonné notre pays.
Le premier moment constitutionnel dont j’ai choisi de vous parler est bien entendu la naissance de la Confédération en 1867. Le choix du deuxième pourrait surprendre, car il s’agit de la décision du Comité judiciaire du Conseil privé dans l’affaire « personne » en 1929. Le troisième est la canadianisation de la Constitution et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. Le quatrième et dernier grand moment constitutionnel dont j’entends vous entretenir correspond à la reconnaissance par la Cour suprême du Canada en 1996 de l’impératif constitutionnel de la réconciliation entre les peuples des Premières nations et la Couronne. Un autre conférencier se serait sans doute attaché à d’autres étapes charnières. J’espère que les quatre moments retenus aujourd’hui vous donneront une bonne idée de l’épopée constitutionnelle du Canada et de ce que ce pays représente à l’aube de son 150e anniversaire.
II. La Confédération du Canada (1867)
La définition usuelle de la Confédération canadienne est simple. En 1867, quelques colonies britanniques du Nord-Est de l’Amérique du Nord s’unissent pour former un pays doté de ses propres Parlement et assemblées législatives provinciales. Former plus ou moins un pays en fait, car le Canada demeurait fermement arrimé à l’Angleterre, tant dans la culture que dans la lettre de la loi.
Or, la réalité est plus complexe. La Confédération résulte de la nécessité de concilier les intérêts des trois collectivités distinctes qui sont à l’origine du pacte initial, à savoir les Canadiens anglais de l’Ontario, les Canadiens français du Québec et les colonies de l’Est. Issus du cœur du pays, les hommes politiques du Canada anglais, admiratifs du gouvernement très centralisé du Royaume-Uni et inspirés par les Loyalistes de l’Empire-Uni qui affluaient à cause de la guerre civile aux États-Unis, souhaitaient un gouvernement central fort, qu’ils comptaient bien sûr diriger. En revanche, très conscients du fait qu’ils se retrouveraient minoritaires au sein du nouveau Parlement du Canada, les politiciens canadiens-français ont insisté pour que suffisamment de pouvoirs soient dévolus aux assemblées législatives provinciales afin qu’elles puissent protéger la langue et la culture françaises, le droit civil et la religion catholique romaine au Québec. Quant aux hommes politiques de la Côte Est, ils désiraient conserver leurs privilèges et traditions locaux.
Ces préoccupations ont décidé du type de constitution dont serait doté le nouveau pays, à savoir une fédération au sein de laquelle chacune des colonies disposerait des pouvoirs nécessaires à la protection de ses intérêts et de sa culture. Seule une fédération pouvait offrir à chacune des colonies les mesures de protection nécessaires à la sauvegarde de la culture et des traditions distinctes du nouveau pays.
Avec le recul, on constate que trois valeurs sous-entendaient le libellé constitutionnel retenu, soit la démocratie, le fédéralisme,ainsi que le respect et l’accommodement des minorités.
Le nouveau pays était démocratique. Avant la Confédération, les colonies avaient lutté longuement et ardemment en faveur du principe de la représentation proportionnelle à la population et celui du gouvernement responsable et elles n’allaient sûrement pas y renoncer de sitôt. Il ne faut donc pas s’étonner que la nouvelle constitution ait eu pour prémisse fondamentale le principe démocratique voulant que le peuple exerce sa souveraineté par l’entremise de représentants élus.
Le nouveau pays était également fédéraliste. Les distinctions entre les colonies, tout particulièrement entre celle du Québec et les autres, rendaient toute autre solution impossible. Au cœur de la Constitution se trouvent les articles 91 et 92, qui énumèrent respectivement les compétences fédérales et provinciales. Pour certains auteurs, l’intention initiale des pères de la Constitution — qui se dégage du partage fédéral-provincial des compétences, du pouvoir de désaveu des lois provinciales accordé au Parlement et du pouvoir résiduel fédéral quant à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement — était de faire prédominer le pouvoir fédéral. Quoi qu’il en soit, au cours des décennies qui ont suivi, le Comité judiciaire du Conseil privé a imprimé à la Constitution un caractère résolument régional, si bien que, de nos jours, son interprétation dominante est axée sur le fédéralisme coopératif.
La troisième valeur qui sous-tend le texte de la Constitution de 1867 est celle du respect de la diversité et des minorités. À sa naissance, le pays était traversé de fossés linguistiques et religieux. Le respect des différences et la reconnaissance de la valeur égale des diverses cultures constituaient des idées radicales en 1867. En effet, un État se définissait alors par l’homogénéité de sa population et allait même en guerre pour la préserver. La nouvelle nation canadienne, qui réunissait les colonies catholiques de langue française et protestante de langue anglaise, n’avait d’autre choix que de tracer une voie nouvelle et d’accepter la diversité. Les différences et le droit de les protéger constituaient tout simplement le prix à payer pour s’allier. Et c’est toujours le cas de nos jours.
Bref, la Confédération, le premier moment déterminant de l’histoire du Canada, a défini les assises durables de la nation, soit la démocratie, le fédéralisme et le respect des différences et de la diversité.
III. L’affaire « personne » (1929)
Le choix du deuxième moment marquant peut surprendre. Il ne coïncide pas avec une modification constitutionnelle. Il ne s’agit même pas d’une décision d’un tribunal canadien, mais d’un jugement du Comité judiciaire du Conseil privé, lequel siégeait à Londres et a constitué le tribunal de dernier ressort du Canada jusqu’en 1949, année où le droit d’appel devant cette juridiction a finalement été aboli. Et pourtant, il s’agit d’une étape charnière pour notre pays et, ultimement, pour ses valeurs constitutionnelles. Dans cette affaire, on a déterminé que la nouvelle nation serait composée de citoyens égaux, une idée qui a par la suite été reprise dans le code des droits de la personne de chacune des provinces et dans la Charte canadienne des droits et libertés. Si la Confédération consacre l’égalité des différentes cultures et leur respect, l’affaire « personne » consacre l’égalité des hommes et des femmes et le respect de chacun, une valeur qui deviendra un élément essentiel de l’identité nationale.
Avant 1929, le droit à l’égalité juridique de chacun n’était pas encore reconnu. La discrimination fondée sur la race, la religion ou le sexe était répandue et tolérée sans qu’on en fasse grand cas. L’impôt de capitation de 1885 exigé des immigrants chinois, la restriction de la liberté et du droit de vote des membres des Premières nations et les règlements municipaux qui permettaient la discrimination contre les juifs et d’autres minorités sur le fondement de la race ou de la religion faisaient tous partie de la réalité juridique canadienne, sans parler de la discrimination contre les femmes, l’objet même de l’affaire « personne ». Même si on s’en rendait peu compte à l’époque, cette affaire allait révolutionner le droit et transformer la société canadienne.
C’est à une personne hors du commun, Mme Emily Murphy, figure emblématique des droits des femmes au Canada, qu’on doit ce débat judiciaire. Au début des années 1920, Mme Murphy accepte que sa candidature au Sénat soit proposée au premier ministre de l’époque, Robert Borden. Ce dernier la rejette au motif que les femmes ne sont pas des « personnes » pour l’application de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867Footnote 3 et ne peuvent donc pas occuper une charge publique. Mme Murphy demande alors à quatre éminentes Albertaines, Irene Marryat Parlby, Nellie Mooney McClung, Louise Crummy McKinney et Henrietta Muir Edwards, de se joindre à elle pour exiger du gouvernement fédéral qu’il autorise expressément la nomination de femmes à des charges publiques. En guise de réponse, le gouvernement renvoie la question suivante à la Cour suprême du Canada : [traduction] « Le mot “personnes” employé à l’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 s’entend-il des femmes? »
Se fondant sur l’interprétation de dispositions semblables dans les pays du Commonwealth, la Cour suprême conclut que les mots « personnes ayant les qualifications voulues » figurant dans l’AANB ne visent pas les femmesFootnote 4. Les juges reconnaissent certes que le rôle des femmes au sein de la société a changé depuis 1867, mais pas au point qu’il faille adopter une loi pour le reconnaître.
Mme Murphy et ses compagnes refusent de baisser les bras. Elles amassent les fonds qui leur permettent d’interjeter appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé et obtiennent gain de cause. Au nom du Comité, le vicomte Sankey, lord chancelier, infirme la décision de la Cour suprêmeFootnote 5. Il opine que les temps ont changé, de même que l’idée que l’on se fait des fonctions qu’une femme peut exercer. Selon lui, la Constitution représente [traduction] « un arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles » et son interprétation doit s’adapter aux nouvelles réalités socialesFootnote 6. Deux notions fondamentales se dégagent de la décision : l’égalité des hommes et des femmes et l’interprétation de la Constitution en fonction de la réalité actuelle.
Il va aujourd’hui de soi qu’une femme est une personne. Comment pouvait‑on croire le contraire! Pourtant, à l’époque, il s’agissait d’une idée révolutionnaire. Les éditorialistes ont condamné la décision, prétendant qu’elle porterait atteinte à la moralité et modifierait profondément la société canadienne. Ils ont vu juste sur ce dernier point. La notion d’égalité voyait le jour, et la société canadienne ne serait plus jamais la même.
Une décennie plus tard, le roi George VI et la reine Elizabeth ont visité le Canada. À Ottawa, ils étaient notamment invités à poser la pierre angulaire du nouvel édifice de la Cour suprême du Canada. C’est généralement au roi qu’il incombait d’accomplir cette tâche, mais cette fois, c’est la reine qui l’a fait. Si vous visitez la Cour suprême, vous pouvez visionner le film tourné alors. On y entend la reine dire : [traduction] « Il n’est peut-être pas incongru que cette tâche soit accomplie par une femme, car c’est de l’évolution du droit dont dépend la situation de la femme dans la société civile ». J’aime à penser que la reine avait alors l’affaire « personne » en tête.
IV. La canadianisation de la Constitution et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (1982)
La canadianisation de la Constitution et l’adoption de la Charte des droits le 17 avril 1982, qui constituent le troisième grand moment retenu, représentent peut-être le moment charnière pour les Canadiennes et les Canadiens de notre génération. Elles signalent l’indépendance véritable et l’émancipation de l’ancienne colonie encore qualifiée de « dominion », et elles confirment les principes sur lesquels repose la Confédération de 1867, à savoir la démocratie, le fédéralisme, ainsi que le respect et l’accommodement des minorités.
Plusieurs événements avaient évidemment marqué la lente progression du statut de colonie à celui de nation autonome. Le processus a été long et ponctué de nombreux jalons. Mentionnons la première cérémonie de remise des certificats de citoyenneté, en 1947, dans le hall d’honneur de la Cour suprême du Canada. Auparavant, nous n’étions pas des citoyens canadiens, mais des sujets britanniques. On peut aussi signaler l’abolition de l’appel au Comité judiciaire du Conseil privé en 1949 : auparavant, la Cour suprême du Canada ne représentait qu’une étape dans le parcours qui menait à Londres. Mais l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Charte canadienne des droits et libertés a marqué la fin du processus d’émancipation de notre pays.
Le matin pluvieux du 17 avril 1982, d’un seul trait de sa plume, la Reine a opéré deux changements énormes dans la vie constitutionnelle du Canada. Le premier nous permettait d’entrer en possession de notre Constitution. Avant, seul le Parlement britannique pouvait la modifier; après, le Canada en avait le pouvoir. L’importance de cet événement était on ne peut plus claire : dorénavant, ce serait la population canadienne, et seulement elle, qui déciderait de son avenir constitutionnel. Sur les plans politique et constitutionnel, la canadianisation de la Constitution a marqué le passage du Canada à l’âge adulte, à l’indépendance, à la maîtrise de sa destinée et à la confiance dans l’avenir.
La Charte a vu le jour de pair avec l’acquisition de cette indépendance nouvelle. Elle correspondait à la société que la population canadienne appelait de ses voeux pour les générations actuelles et futures. Tandis que la canadianisation de la Constitution symbolisait l’autodétermination pure et simple, la Charte énonçait les idéaux auxquels aspirait le Canada. Chaque nation a besoin d’un énoncé fondamental des valeurs qu’elle chérit. Au Canada, la Charte joue ce rôle. Elle vient confirmer, en termes exprès, les valeurs qui se dégagent implicitement de l’AANB de 1867, à savoir nos droits démocratiques et notre respect des différences et de la diversité. Elle reprend les valeurs de liberté et d’égalité qui, petit à petit, ont été reconnues par la législation et la jurisprudence canadiennes depuis l’affaire « personne » de 1929. Et finalement, elle offre une protection constitutionnelle aux droits des Premières nations du Canada.
La Charte a été conçue au Canada, au terme d’années de débats et de négociations. Elle est véritablement à l’image de ce qu’est le Canada.
Certes, la Charte compte aussi des détracteurs. Dès le départ, certains se sont inquiétés du passage d’une démocratie parlementaire où le Parlement a le dernier mot à une démocratie constitutionnelle où les tribunaux peuvent être appelés à statuer en dernier ressort sur la constitutionnalité des lois. Pourtant, trente ans plus tard, je crois que la plupart des gens estiment que la canadianisation de la Constitution était essentielle et que la Charte a résisté à l’épreuve du temps. Sondage après sondage, les Canadiens et les Canadiennes se disent fiers de la Charte des droits et libertés. En somme, elle fait désormais partie de l’identité canadienne. Depuis son adoption, les principes qui y sont énoncés sont repris à l’étranger, et les décisions de la Cour suprême qui les interprètent sont étudiées par les tribunaux et les universitaires du monde entier, ce qui n’est pas pour nous désoler.
Passons au quatrième et dernier moment constitutionnel.
V. La reconnaissance des droits ancestraux
La diversité est la trame de notre tissu national. Elle est certes bénéfique, mais elle pose également des défis. Le Canada d’aujourd’hui est sans cesse appelé à gérer la diversité. Ce faisant, il se définit lui-même. Mentionnons à cet égard la reconnaissance, au milieu des années 90, de l’impératif constitutionnel de la réconciliation des Premières nations du Canada et de la Couronne, une mesure dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui.
Ce volet de l’histoire constitutionnelle du Canada compte de nombreux chapitres. J’aimerais vous entretenir d’un en particulier, celui où la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans l’affaire Van der Peet.Footnote 7 La Cour était alors appelée à déterminer de quelle manière les droits ancestraux devaient être reconnus et confirmés en application du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les faits étaient simples. Membre des Sto:lo, Mme Van der Peet avait été accusée d’avoir vendu 10 saumons en violation d’un règlement sur la pêche de la Colombie-Britannique. Elle prétendait avoir le droit ancestral de vendre du poisson et que le règlement portait atteinte à ce droit garanti par la Constitution.
L’arrêt Van der Peet marque un tournant important dans l’interprétation des droits ancestraux garantis par la Constitution en ce que la Cour y statue que l’objet de l’art. 35 est d’« établi[r] le cadre constitutionnel qui permet de reconnaître que les autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctives, possédant leurs propres cultures, pratiques et traditions, et de concilier ce fait avec la souveraineté de Sa Majesté »Footnote 8. La Cour conclut en somme que l’objectif consiste dans la réconciliation juste et équitable des peuples autochtones du Canada avec la souveraineté de la CouronneFootnote 9.
Dans cet arrêt, la Cour suprême reconnaît que les pratiques historiques des autochtones peuvent aujourd’hui donner naissance à des droits économiques. Dans l’arrêt Delgamuukw rendu l’année suivante, la Cour suprême confirme l’objectif de réconciliation, cette fois dans le contexte des revendications territoriales des Premières nations.Footnote 10 Puis, en 2004, dans l’arrêt Nation haïda, elle conclut que l’honneur de la Couronne oblige le gouvernement à consulter les Premières nations sur l’exploitation de ressources (forestières, en l’occurrence) jusqu’à ce qu’il soit statué sur les revendications territoriales.Footnote 11 Il ne s’agit que de quelques-unes des décisions qui ont ouvert la voie à la réconciliation.
La réconciliation reflète l’histoire commune des habitants de ce pays. Comme le dit si bien John Ralston Saul, « [n]ous formons une civilisation métisse. Ce que nous sommes aujourd’hui est attribuable autant, et peut-être plus, à quatre siècles de cohabitation avec les civilisations autochtones qu’à quatre cents ans d’immigration. [. . .] Cette influence, ce façonnement, sont profondément ancrés en nous. »Footnote 12 Nous avons évolué ensemble et nous nous sommes pétris d’innombrables façons au contact des uns et des autres. Il est trop tard pour nous séparer; nous n’avons d’autre choix que de vivre ensemble et de concilier nos différences.
La réconciliation (et la conciliation concomitante des droits) s’appuie sur un idéal d’égalité et de respect mutuel et elle exclut toute discrimination. En ce sens, on peut établir un parallèle avec les premiers contacts entre Européens et membres des Premières Nations et la phase historique initiale de coopération fondée sur les besoins et le respect mutuels.
La réconciliation reconnaît que notre pays se compose dans les faits de descendants des Premières nations et d’Européens, mais également de personnes provenant des quatre coins du monde. Quel que soit notre avis sur le sujet, il s’agit d’une réalité incontournable. « Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes tous ici pour y rester », dit le juge en chef LamerFootnote 13. La réconciliation suppose de considérer attentivement ce qu’est le Canada, ce qui le divise, etc., puis d’affirmer que, pour le bien commun, il faut faire la paix et bâtir un avenir meilleur.
S’il s’agit de l’option la plus prometteuse pour l’avenir, elle n’est pas pour autant une solution de facilité. Ce n’est pas une mesure avec un début et une fin, mais un processus. Elle exige ouverture d’esprit, persévérance et grande patience. Mais je crois que le jeu en vaut la chandelle.
VI. Conclusion
J’ai fait état de quatre grands jalons de l’histoire constitutionnelle canadienne, à savoir la Confédération, l’affaire « personne », la Loi constitutionnelle de 1982 par laquelle nous avons pris possession de notre Constitution et adopté la Charte canadienne des droits et libertés, et l’arrêt de la Cour suprême du Canada confirmant la nécessité de concilier les intérêts des Premières nations avec la souveraineté de la Couronne.
Lorsqu’on cesse de s’attacher à chacun des événements pour les embrasser tous, on perçoit une continuité régulière. On voit une ancienne colonie devenue pacifiquement une puissance mondiale respectée, sans violence ni rancœur. On voit un pays dont les racines sont bien enfoncées dans le terreau de la démocratie, du fédéralisme et du respect de la diversité et de l’égalité de toutes ses composantes. On voit une nation qui, nourrie de ces valeurs, a évolué vers la pleine reconnaissance de l’égalité de ses citoyens, sans égard au sexe, à la race ou aux opinions. On voit un pays qui, aux yeux du monde, défend le sens moral, le respect des différences et le règlement pacifique des conflits.
Voilà l’histoire de notre Constitution à ce jour. Y aura-t-il d’autres moments marquants? Sans aucun doute. Faut‑il les craindre? Je ne crois pas. Tout porte à croire que les traditions et les valeurs qui nous ont bien servis au cours des 147 dernières années nous permettront de relever les défis de l’avenir. Si notre Constitution est jeune, son histoire est déjà édifiante. Il y a de quoi être fiers.
Footnotes
- Footnote 1
-
Loi de 1982 sur le Canada,(R.-U.) 1982, ch. 11.
- Footnote 2
-
Thomas Jefferson, Lettre à James Madison, Paris, 6 sept. 1789.
- Footnote 3
-
Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30-31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), rebaptisé par la suite Loi constitutionnelle de 1867.
- Footnote 4
-
Reference re meaning of the word "Persons" in s. 24 of British North America Act, [1928] R.C.S. 276.
- Footnote 5
-
Edwards c. A.G. of Canada, [1930] A.C. 124.
- Footnote 6
-
Ibid., à la p. 136
- Footnote 7
-
R. v. Van der Peet, [1996] 2 S.C.R. 507.
- Footnote 8
-
Ibid. par. 31.
- Footnote 9
-
Ibid., par. 50.
- Footnote 10
-
Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1110.
- Footnote 11
-
Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.
- Footnote 12
-
John Ralston Saul, A Fair Country: Telling Truths About Canada (Toronto: Viking Canada, 2008) 1.
- Footnote 13
-
Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1110, au par. 186.
Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P.
Juge en chef du Canada
Devant le Cercle canadien d'Ottawa
Ottawa (Ontario)
Le 5 février 2013
- Date de modification :