Jurisprudence en bref

La norme de contrôle (tirée de Vavilov, un jugement de la « trilogie d’arrêts en droit administratif »)

Afin de rendre le droit plus clair et plus prévisible, la Cour suprême modifie la manière dont les cours de justice examinent les décisions administratives (non judiciaires).

On appelle « décisions administratives » les décisions qui sont prises par les gouvernements ou par les personnes ou organismes qui agissent en leur nom. Ces décisions font partie du « droit administratif ». La plupart des décisions juridiques qui ont des incidences sur les gens sont des décisions administratives, et non des décisions judiciaires.

Il peut s’agir d’une lettre d’un organisme versant des prestations, d’un règlement municipal ou de la décision d’un tribunal administratif. Bien souvent, les décideurs administratifs ne sont pas des juges ou des avocats. Leurs décisions ne ressemblent généralement pas à celles rendues par les cours de justice. Mais les juges et les cours de justice ont un rôle à jouer à cet égard. En vertu de la Constitution, les cours de justice peuvent veiller à ce que les décideurs administratifs agissent suivant les règles. Elles s’acquittent de cette tâche en appliquant un processus appelé le « contrôle judiciaire ».  

Lorsqu’une cour de justice examine une décision administrative, elle applique une « norme de contrôle » donnée. La norme de contrôle est la démarche juridique employée pour analyser la décision. La norme qui doit être appliquée dépend du genre de décision en cause. Cependant, la question de savoir quelle norme de contrôle s’applique dans quelle situation a toujours été l’objet de nombreux débats, tout comme la manière dont il convient d’appliquer chaque norme.

La juges majoritaires de la Cour suprême confirment que, dans les cas où une cour de justice examine une décision administrative, il existe deux normes de contrôle : la norme de la « décision raisonnable » et la norme de la « décision correcte ». 

La « décision raisonnable » et la « décision correcte » peuvent sembler des expressions courantes, qu’on entend tous les jours. Mais en droit elles ont un sens spécial. Une décision « raisonnable » est le résultat d’un raisonnement cohérent. Elle doit être sensée à la lumière du droit et des faits. Une décision « correcte » est la seule bonne réponse à la lumière du droit et des faits.  

Les juges de la majorité établissent une nouvelle façon pour les cours de justice de déterminer si elles doivent se demander si une décision est « raisonnable » ou si elle est « correcte ». Les juges donnent également aux cours de justice des indications pour les aider à juger du caractère « raisonnable » d’une décision.

Selon les juges de la majorité, la norme de contrôle applicable par défaut (la norme habituelle) est celle de la « décision raisonnable ». Cela signifie qu’une cour de justice doit se demander si la décision est « raisonnable ». Il peut y avoir plus d’un résultat « raisonnable ». Les cours de justice doivent accepter toute décision qui est « raisonnable ». Elles doivent l’accepter même si pour leur part elles auraient rendu une décision différente. Si une décision n’est pas « raisonnable », une cour de justice doit normalement renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il la réexamine. Il est alors possible que le décideur arrive au même résultat ou à un résultat différent. Il est rare qu’une cour de justice décide tout simplement de remplacer la décision rendue par le décideur par la sienne.

La majorité affirme que, dans certains cas, les décideurs n’ont pas à expliquer leur décision. Toutefois, les gens doivent être en mesure de comprendre les décisions qui les touchent. En conséquence, il est important que les décideurs expliquent pourquoi ils ont décidé comme ils l’ont fait.  

La majorité précise qu’il y a deux exceptions, c’est-à-dire deux situations où la norme applicable n’est pas celle de la « décision raisonnable ». La première exception est le cas où le législateur a expressément prévu une solution différente. Cela peut se faire de deux façons. Premièrement, le législateur peut indiquer dans une loi quelle est la norme qui s’applique. Deuxièmement, il peut accorder un droit d’appel devant une cour de justice. Comme l’appel est une procédure différente du contrôle judiciaire, des normes différentes s’appliquent. On parle alors des normes « applicables en appel ». Il s’agit des mêmes normes que celles qu’utilisent les cours de justice pour trancher les appels formés à l’encontre des décisions des cours inférieures. La norme « applicable en appel » correspond à la norme de la « décision correcte » dans les cas où la décision faisant l’objet de l’appel concerne le droit ou le pouvoir du décideur de trancher la question en cause.

La primauté du droit constitue la seconde exception où la norme applicable n’est pas celle de la « décision raisonnable ». La primauté du droit est le principe selon lequel toutes et tous doivent se conformer aux mêmes règles juridiques fondamentales au sein de la société. Cette exception concerne les questions constitutionnelles, les questions de droit générales qui ont une incidence sur le système juridique dans son ensemble ou encore les cas où les pouvoirs de deux organismes administratifs se chevauchent. Dans toutes ces situations, les cours de justice doivent se demander si la décision en cause est « correcte ». Il ne peut y avoir qu’une seule décision « correcte ». Si la décision qui a été rendue n’est pas la décision « correcte », la cour de justice la modifiera dans tous les cas, sans renvoyer l’affaire au décideur.

La Cour suprême établit des « précédents » que les tribunaux inférieurs doivent suivre. Elle est la seule cour de justice qui peut écarter ces précédents, mais cela se produit rarement. Dans la plupart des affaires qui lui sont soumises, la Cour interprète des lois ou décide ce qui doit être fait quand quelque chose n’est pas clair. En l’espèce, la Cour a écarté (modifié) certains de ses précédents. Les précédents sont importants car ils rendent le droit certain et prévisible. Mais certains précédents de la Cour sur la norme de contrôle ne produisaient pas ces effets. La majorité les écarte pour rendre le droit plus clair et plus prévisible.

La cause en bref est un document rédigé par le personnel des communications de la Cour suprême du Canada afin d’aider le public à mieux comprendre les décisions de la Cour. La cause en bref ne fait pas partie des motifs de jugement de la Cour et ne doit pas être utilisée lors de procédures judiciaires.