L’accès à la justice : un impératif social
Allocution du très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada
Merci pour cette aimable présentation. Distingués juges, avocats, collègues et amis, bonjour! C’est un plaisir d’être ici aujourd’hui à la 7e Conférence nationale annuelle sur le travail pro bono. Vous aurez l’occasion d’entendre une brochette d’intervenants prestigieux ainsi que d’assister et de participer à une grande variété d’ateliers et de discussions. Merci d’être ici et d’accomplir ce travail certes difficile, mais combien nécessaire.
C’est un réel bonheur pour moi d’être ici à Vancouver, et ce, pour une raison personnelle. Lorsque j’ai été nommé juge à la Cour suprême, en 2012, j’ai accordé une entrevue au Globe and Mail durant laquelle j’ai dit ce qui suit : « Si on ne veille pas à assurer l’accès à la justice, il pourrait en résulter de graves problèmes pour la démocratie »Footnote 1. Ce commentaire a mené à une invitation à prononcer le discours principal lors du premier Sommet de la justice de la Colombie-Britannique, au début de 2013. C’était mon premier discours d’envergure en tant que juge de la Cour suprême. Et me revoilà à Vancouver, quelque cinq ans plus tard, ce qui est merveilleux. Ce qui l’est moins, par contre, c’est que nous sommes toujours aux prises avec les mêmes défis, et que je suis de retour ici pour parler de certains des mêmes enjeux. Comme on dit en français, « plus ça change, plus c’est pareil », plus les choses changent, plus elles restent les mêmes.
Les gens parlent parfois de l’accès à la justice comme s’il avait existé une époque prospère, où tout un chacun pouvait se payer les services d’un avocat et s’adresser aux tribunaux pour faire régler ses problèmes rapidement et sans douleur. Je peux vous affirmer que ça n’a jamais été le cas. Les gens ont toujours dû faire face à des difficultés. Les honoraires des avocats ont toujours été élevés, les rôles des tribunaux ont toujours été encombrés et les procédures se sont toujours déroulées plus lentement que les gens ne le souhaitaient. Ce n’est pas avant le milieu des années 70 que l’ensemble des provinces et territoires du Canada ont disposé de programmes d’aide juridiqueFootnote 2.
Au fil des ans, toutefois, des progrès ont été réalisés. Des organismes comme l’Access Pro Bono Society of British Columbia sont intervenus pour répondre à un besoin. Cette société a réuni des avocats, d’autres professionnels du droit et des étudiants afin de fournir gratuitement des services juridiques de qualité à des personnes et à des organismes disposant de moyens limités. C’est un accomplissement remarquable. Tous ceux qui ont participé à ces efforts devraient en être très fiers.
Je m’en voudrais par ailleurs de ne pas souligner la présence ici aujourd’hui de quelqu’un qui a lui aussi beaucoup fait pour rendre la justice plus accessible aux Canadiens. En effet, mon ancien collègue à la Cour, l’honorable Thomas Cromwell, nous a non seulement montré qu’il y a une vie après la Cour suprême, mais également qu’il est vraiment possible de trouver des solutions aux défis en matière d’accès à la justice. Son travail auprès du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale du Forum canadien sur la justice civile — « Dis-moi, Tom, comment as-tu fait pour faire entrer tout ça sur une carte professionnelle? » — ce travail, dis-je, a non seulement débouché sur des idées créatives, mais aussi sur des moyens pratiques pour les mettre en œuvre. Je sais que nous sommes tous impatients d’entendre les remarques empreintes de perspicacité qu’il partagera avec nous lorsqu’il animera la première séance.
Même si beaucoup a été fait, nous sommes tous réunis ici aujourd’hui parce qu’il reste encore beaucoup à faire.
Définir l’accès à la justice
Chaque fois que je pense à l’accès à la justice, une citation d’Honoré de Balzac me vient à l’esprit. « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grandes mouches et où restent les petites. » Pour moi, cette image illustre parfaitement non seulement les iniquités de notre système de justice, mais aussi les effets concrets de ces iniquités sur les gens. Bien que le système vise à traiter tout le monde sur un pied d’égalité, certaines personnes se retrouvent coincées et doivent consacrer beaucoup de temps et d’énergie à essayer de se libérer. D’autres se dépêtrent facilement et reprennent leur vie normale. Donner aux gens l’accès à la justice, c’est un peu comme leur procurer les outils pour leur permettre de se dégager de la toile d’araignée.
Ce que l’on appelle l’« accès à la justice » peut signifier beaucoup de choses. C’est par exemple le fait le fait pour une personne de disposer des ressources financière nécessaires pour obtenir des conseils juridiques quand elle en a besoin; le fait d’être informée de son droit à l’assistance d’un avocat lorsque sa liberté est en jeu; le fait de pouvoir compter sur des tribunaux capables de résoudre son problème en temps utile. C’est aussi le fait de connaître les outils et les services qui sont à sa disposition, et de savoir comment s’en prévaloir. C’est le fait de connaître ses droits et de comprendre le fonctionnement de notre système de justice. C’est même le fait pour une personne de constater que des gens comme elle sont présents dans toutes les sphères du système de justice. Et c’est le fait d’avoir confiance dans la capacité de ce système d’aboutir à une solution juste – sachant que l’on peut respecter cette solution et l’accepter, même si ce n’est pas celle que l’on souhaitait. En fin de compte, il s’agit d’assurer une justice adéquate à tous les justiciables, et non une justice parfaite à quelques privilégiés. L’accès à la justice est un enjeu qui concerne la démocratie, les droits de la personne et même l’économie. Je m’explique.
L’accès à la justice – un enjeu démocratique
L’expression « assurer une justice adéquate à tous les justiciables » que je viens tout d’utiliser ne manquerait pas, j’en suis convaincu, de lancer un débat animé avec des politologues. Mais pour moi, en tant que juriste, ces huit mots tout simples résument peut-être à eux seuls l’objectif ultime de tout État démocratique. Nous sommes extrêmement chanceux de vivre dans un pays stable et paisible. Dans un pays où nous ne doutons pas que les torts juridiques qui sont causés trouveront réparation. C’est une chance énorme, car il ne faut jamais oublier que les premières victimes d’un régime tyrannique et oppressif sont inévitablement les juges et les avocats qui veillent au respect des droits des justiciables, et les médias qui rendent compte de leurs travaux. On n’a qu’à regarder le spectacle désolant qui se déroule sous nos yeux très près de chez nous et qui nous rappelle que nous ne devons jamais tenir pour acquises les valeurs fondamentales qui nous distinguent, des valeurs comme la civilité, le respect des institutions, la primauté du droit et, surtout, l’indépendance de la magistrature, qui demeure la garantie d’une saine et forte démocratie et de la protection de nos libertés fondamentales. Je suis fier de notre magistrature qui, partout au pays, n’hésite pas à mettre la main à la pâte pour assurer un meilleur accès à la justice.
Toutefois, plus il devient difficile pour les gens qui appartiennent à certains groupes, qui possèdent un certain degré de scolarisation ou qui gagnent un certain niveau de revenus d’obtenir justice, plus la confiance du public dans l’administration de la justice est compromise. Prenons l’exemple du père ou de la mère d’une famille de la classe moyenne qui lutte pour obtenir la garde de son enfant. Ou encore le cas d’une personne accusée d’un crime mineur et dont l’avocat de l’aide juridique éprouve de la difficulté à la représenter de façon aussi compétente qu’il le voudrait en raison du nombre limité d’heures payées par l’aide juridique. Chaque jour, des personnes sont abandonnées par le système, malgré les efforts acharnés que déploient des gens comme vous pour prévenir ce genre de situations.
Avec le temps, de telles situations finiront par éroder la confiance du public. Dans un scénario extrême, cela pourrait entraîner de l’agitation sociale. Il va de soi qu’un tel scénario ne se concrétisera pas du jour au lendemain – mais je dois avouer que la seule possibilité qu’il puisse se réaliser m’empêche de dormir paisiblement.
L’accès à la justice – un enjeu lié aux droits de la personne
Avant que les effets de l’accès à la justice – ou de son absence – ne se fassent sentir à l’échelle sociétale, ils se font sentir à l’échelle individuelle, car l’accès à la justice concerne d’abord et avant tout les individus. En effet, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne, chacun a droit à l’égalité de traitement au regard de la loi, ainsi qu’au même bénéfice de la loi. Refuser à des gens l’accès à la justice revient à les priver de leur dignité; cela revient à dire que certaines personnes sont dignes de justice et que d’autres ne le sont pas.
L’absence d’accès à la justice a en outre pour effet d’exacerber les iniquités qui existent déjà. Lorsqu’une personne accusée d’un crime donné n’est pas représentée par un avocat, il est possible qu’elle décide de plaider coupable, alors que si elle avait bénéficié de l’aide d’un avocat elle aurait peut-être été acquittée ou encore été reconnue coupable d’un crime moins grave. Cette personne pourrait également être à tort déclaré coupable. Elle risque aussi d’être condamnée à une peine d’emprisonnement plus longue que celle qui lui aurait été infligée si elle avait obtenu l’assistance d’un avocat. Lorsqu’une telle personne est libérée sous caution, elle ne recevra peut‑être pas le soutien dont elle a besoin pour respecter les conditions de sa mise en liberté. En définitive, les accusés qui n’ont pas accès à des services juridiques risquent de passer plus de temps en prison. Une telle situation a de profondes répercussions sur la vie des gens.
L’accès à la justice – un enjeu économique
L’accès à la justice ne concerne pas seulement la stabilité de la société ou le respect des droits de la personne, aussi importants que puissent être ces enjeux. L’accès à la justice joue également un rôle important sur le plan économique. En effet, une personne qui n’a pas obtenu justice risque de ne pas avoir une attitude positive et de ne pas être un membre productif de la société. Il pourrait lui être difficile de trouver la motivation pour travailler et envisager l’avenir favorablement. Elle risque fort de ne pas se révéler une bonne employée, d’être peu encline à agir comme bénévole ou encore de ne faire de choix judicieux à long terme. Ces considérations nous concernent tous.
De même, les gens d’affaires ont besoin que leurs différends commerciaux soient réglés promptement. L’économie mondiale n’attend pas l’issue d’un procès, et des entreprises risquent d’être laissées pour compte si elles ne peuvent agir rapidement. Alors que les grandes entreprises peuvent retenir les services d’avocats ou recourir à l’arbitrage, c’est un luxe qui n’est peut-être pas à la portée de petites et moyennes entreprises. Dans certains cas, une justice accessible peut faire toute la différence entre la poursuite de l’exploitation d’une entreprise et sa mise en faillite. Quand la justice n’est pas accessible, il en découle des coûts économiques réels, en sus des coûts sociaux et humains.
Les obstacles à l’accès
Je viens d’expliquer brièvement ce qu’est l’accès à la justice, ainsi que les raisons pour lesquelles cet accès est important. Je passe maintenant à l’épineuse question qui se pose : Pourquoi n’arrivons-nous pas à l’assurer? Et, en définitive, que pouvons-nous faire à ce sujet?
Les coûts
Eh bien, le premier obstacle saute aux yeux et il est peut‑être d’ailleurs la principale préoccupation de beaucoup de personnes dans cette salle : les coûts. Les services juridiques sont dispendieux et ils sont tout simplement hors de portée pour bon nombre de Canadiens.
En Colombie-Britannique, une personne seule qui gagne le salaire minimum n’est pas admissible à l’aide juridique si elle travaille à temps pleinFootnote 3. La situation est la même dans d’autres provincesFootnote 4. La plupart des personnes touchées par le manque d’aide juridique sont des femmes, des personnes handicapées, des immigrants récents, des membres de minorités visibles et des Autochtones, qui sont surreprésentés parmi les personnes à faible revenu. Les dépenses gouvernementales pour l’aide juridique en matière civile ont diminué au Canada, passant de 11,37 $ par personne en 1994 à 8,96 $ en 2012Footnote 5 pendant que les dépenses dans d’autres domaines (comme la santé et l’éducation) ont augmenté.
Bien que nous considérions souvent que l’abordabilité est un problème qui touche les ménages à faible revenu, les personnes à revenu moyen qui gagnent trop d’argent pour être admissibles à l’aide juridique en souffrent également. En raison du coût des services juridiques, certaines décident de ne pas intenter de recours ou encore de se défendre contre des accusations criminelles. Certaines n’ont d’autre choix que de se représenter elles-mêmes parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer un avocat. Le coût moyen des honoraires d’avocat pour un procès civil de deux jours au Canada s’élevait à 31 330 $ en 2015, une somme qui est hors de portée pour de nombreuses personnesFootnote 6. De fait, je pense que beaucoup d’avocats n’auraient pas les moyens de se payer leurs propres services. Le problème est particulièrement aigu en droit de la famille, où plus de la moitié des plaideurs se présentent au tribunal sans avocatFootnote 7. En droit criminel, bien qu’il soit rare que des personnes accusées d’infractions très graves se représentent elles-mêmes pour cause d’absence de fondsFootnote 8, il arrive souvent que les programmes d’aide juridique ne couvrent pas les accusations relatives à des infractions criminelles mineuresFootnote 9, même si de telles accusations peuvent néanmoins affecter la vie et le gagne-pain d’une personne.
Le nombre de plaideurs qui se représentent eux-mêmes ne diminue pas. Ces plaideurs déposent environ un tiers des demandes d’autorisation soumises à la Cour suprême. Le nombre moyen de telles demandes acceptées au cours d’une année donnée est nul, puisque seulement une ou deux sont acceptées tous les cinq ans environFootnote 10. Le fait de traiter avec des « autoreprésentés » impose un lourd fardeau aux juges, aux fonctionnaires judiciaires et aux avocats de la partie adverse. Cette situation engendre de la frustration et contribue au deuxième obstacle, les délais.
Les délais
Avec le temps, les procès sont devenus de plus en plus longs et compliqués. Il y a 40 ans, un procès pour meurtre pouvait durer une semaine. Aujourd’hui, il n’est pas rare qu’ils durent un mois, voire des années dans le cas des procès complexes. De bonnes raisons expliquent en partie cette situation. De nouvelles technologies ont apporté de nouveaux types de preuves, qui requièrent l’audition de nouveaux experts. La Charte permet à un accusé de contester les violations de ses droits fondamentaux.
Mais comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Jordan, nous ne pouvons plus nous permettre de faire preuve de complaisance à l’égard des délais. Il n’y a pas de gagnant lorsqu’une accusation est rejetée pour cause de délai, pas même l’accusé, qui doit vivre dans l’incertitude, ni les victimes et les témoins qui peuvent finir par avoir l’impression qu’ils ont fait l’objet d’un déni de justice, non plus que la société. Personne.
Les délais dans les causes en matière civile peuvent être encore pires, vu l’absence des pressions constitutionnelles qui jouent lorsque la liberté d’une personne est en jeu. Les parties croulent sous les milliers de pages de documents qu’elles s’envoient l’une l’autre au cours de la communication de la preuve. Il faut attendre un an, parfois davantage, avant même d’obtenir la date d’un procès qui pourrait durer deux mois. Entretemps, les parties sont aux prises avec des pertes financières ou des tensions familiales, des problèmes de santé physique et mentale restent sans solution. La personne qui a subi un préjudice peut alors être persuadée d’accepter un règlement moins favorable parce qu’elle ne peut plus travailler et doit payer ses factures. Les délais incitent les gens à faire des choix difficiles, qui risquent de changer leur vie.
Le manque d’information
Un troisième obstacle à l’accès à la justice est le manque d’accès à l’information juridique. Combien de problèmes pourraient être évités si le public avait un meilleur bagage de connaissances juridiques ou s’il pouvait à tout le moins accéder plus rapidement, à un coût abordable, à des conseils de base?
En revanche, le fait pour une personne de posséder uniquement des connaissances minimales n’est pas lui aussi sans danger, danger qui ressort de façon on ne peut plus claire lorsqu’une personne qui se représente elle-même plaide devant le tribunal un point de droit obscur qu’elle a découvert sur Google, sans se rendre compte que cela ne l’aide pas vraiment ou que toutes les autres personnes dans la salle d’audience sont en train de perdre patience à cause du temps qu’elle leur fait perdre.
Il ne s’agit pas simplement d’un problème de manque d’information; il y a aussi trop de mésinformation. Les gens commencent à se méfier des institutions publiques. Certains plaideurs choisissent de se représenter eux‑mêmes non pas parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un avocat, mais parce qu’ils ne leur font pas confiance. Parce que les avocats font partie du « système ». Le simple fait de fournir davantage d’information juridique ne résoudra pas ce problème.
Que pouvons-nous faire ?
Lorsque j’ai mentionné, un peu plus tôt, que l’accès à la justice constitue depuis longtemps un défi, je ne voulais pas dire qu’il s’agit d’un défi insurmontable. Les juges, les avocats et les décideurs politiques ont déployé des efforts remarquables afin d’améliorer l’accès à la justice au cours des dernières décennies. En outre, il y a parmi vous ce soir de nombreuses personnes responsables de cliniques juridiques, de programmes de services bénévoles, de mécanismes de règlement des différends et d’initiatives d’information juridique, autant de mesures qui contribuent à éclairer les gens sur des aspects souvent obscurs du système de justice. Loin de moi l’idée de sous-estimer la nécessité et l’efficacité de tous ces efforts. Je tiens simplement à rappeler qu’il nous faut persévérer.
Nous devons faire davantage pour fournir de l’information juridique aux citoyens dans les palais de justice, par l’entremise des organismes de justice et aussi en ligne. Grâce à la technologie et aux outils de communication dont nous disposons aujourd’hui, nous avons accès à une multitude de moyens d’améliorer l’accès à l’information. Nous réfléchissons beaucoup à cette question à la Cour suprême. Nous mettons en ligne de l’information sur Facebook et sur Twitter, pour permettre à un plus grand nombre de Canadiens d’en prendre connaissance, car nous savons que tout le monde ne consulte pas le site Web de la Cour. Notre publication intitulée La cause en bref est un court résumé rédigé dans un langage non juridique afin de permettre aux lecteurs non initiés de comprendre nos décisions, les raisons pour lesquelles elles sont importantes et les incidences qu’elles peuvent avoir sur leur vie.
Chaque acteur au sein du système de justice a un rôle à jouer. Les juges ne peuvent plus rester à l’écart, mais doivent faire preuve d’un esprit critique sur la façon dont ils peuvent améliorer l’accès à la justice. À ce propos, nous avons besoin d’un plus grand nombre de juges. Il y a des dizaines de postes de juge vacants au Canada. Chaque poste qui demeure vacant se traduit par des délais d’attente plus longs pour l’instruction des causes, ce qui compromet l’accès à la justice pour tout le monde.
Les responsables des programmes d’aide juridique doivent trouver des façons nouvelles et novatrices d’offrir des services compétents, compte tenu des ressources limitées dont ils disposent. Qu’il s’agisse des décideurs politiques ou des membres des divers barreaux, tous les intervenants du système de justice doivent réfléchir sérieusement à des solutions novatrices pour donner aux gens accès à la justice et pour maintenir leur confiance dans le système de justice.
Enfin – et ce n’est certainement pas l’aspect le moins important –, nous avons besoin d’avocates et d’avocats prêts à offrir leurs services à titre bénévole. Vous êtes tous présents ici parce que vous vous souciez de l’accès à la justice et que vous êtes conscients de son importance. Vous vous êtes engagés à aider. Et je vous en félicite.
Exercer le droit dans ce pays est un privilège. La société accorde une grande confiance aux avocats en leur qualité de membres du barreau. Le travail de l’avocat est une forme de service public, en ce qu’il soutient notre démocratie, protège les droits de la personne et assure le bon fonctionnement de notre économie. Bien sûr, on entend beaucoup de mauvaises blagues, et vous en avez probablement entendu quelques‑unes qui disent qu’être avocat n’a rien à voir avec tout cela. Mais il n’en demeure pas moins que c’est une vocation noble. Et une partie de cette noblesse vient du fait de redonner quand nous en sommes capables. Je sais que vous êtes toutes et tous ici parce que vous voulez le faire.
Notre défi consiste à trouver des moyens pour que le travail bénévole s’intègre à la fibre de notre profession. Pour qu’il ne soit pas seulement un petit extra que nous accomplissons à l’occasion et qui aide à nous donner bonne conscience. Offrir bénévolement vos services n’implique pas que vous renonciez à vos revenus ou que vous sacrifiez tous vos temps libres. Servir bénévolement veut dire redonner un peu.
Je suis encouragé de constater que la représentation bénévole augmente. Les cabinets d’avocats intègrent maintenant des projets de représentation bénévole dans leurs modèles d’activité en tant que moyen de redonner, de se bâtir une réputation positive et d’offrir à leurs jeunes avocats l’expérience de la salle d’audience dont ils ont besoin pour devenir meilleurs. Nous devons encourager cette tendance. Vous devez encourager cette tendance. Beaucoup d’entre vous se sont joints à des cabinets qui font ce type de travail bénévole. Faites en sorte que ces programmes soient maintenus et élargis. Vous pourrez vous faire entendre là où d’autres ne seront pas en mesure de le faire.
Conclusion
Le travail bénévole n’est pas facile, tant sur le plan professionnel que sur le plan psychologique. Lorsqu’on parle de chiffres et de statistiques, on ne prend pas souvent le temps de reconnaître le coût sur le plan humain. On oublie trop souvent l’angoisse et la souffrance des gens qui ont besoin d’aide juridique, mais qui n’y ont pas accès; on oublie aussi le stress et l’angoisse des gens qui essaient de les aider, mais qui n’arrivent tout simplement pas à faire tout ce qui est nécessaire. J’ai dit que le travail bénévole était une vocation noble; cela ne veut pas dire que c’est un travail prestigieux. Mais c’est un travail dont vous pouvez être fier. Et c’est notre responsabilité à tous, en tant que société.
Nous voudrions certes tous que le système soit parfait, mais nous vivons dans un monde bien réel, aux prises avec des difficultés et des limites biens tangibles. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous devrions cesser nos efforts en vue d’améliorer le système, car plus élevés seront nos objectifs, plus grandes seront nos réalisations.
Faisons notre part pour que chacun puisse traverser la toile d’araignée de Balzac sans s’y empêtrer.
Merci de votre attention.
Notes
- Note 1
-
Kirk Makin, « Supreme Court judge warns of ‘dangerous’ flaws in the system », The Globe and Mail (13 décembre 2012), page A1.
- Note 2
-
Mary Jane Mossman, « Aide juridique », L’encyclopédie canadienne (7 février 2006, mise à jour le 16 décembre 2013).
- Note 3
-
En Colombie-Britannique, le revenu net maximal applicable à l’égard d’une personne seule pour déterminer l’admissibilité à l’aide juridique est 1 580 $ par mois. Voir B.C. Legal Services Society, “Do I qualify for legal representation?” Le salaire minimum en C.-B. est actuellement de 12,65 $ l’heure. Voir Government of B.C., “Minimum Wage Factsheet.” Cela équivaut à 2 055,63 $ par mois ou 24 667,50 $ par année pour une personne travaillant 37,5 heures par semaine (37,5 heures x 52 semaines = 1 950 heures; 1 950 heures x 12,65 $ = 24 667,50 $ par année, ÷ 12 mois = 2 055,63 $. 40 heures par semaine = 2 080 heures par année = 26 312 $ par année ou 2 192,67 $ par mois). Selon Ernst & Young, en 2018, une personne avec un revenu de 24 667,50 $ (37,5 heures par semaine au salaire minimum) paie 2 358 $ en impôt sur le revenu, et gagne donc un revenu net de 22 309 $ par année ou 1 859,08 $ par mois. Une personne avec un revenu de 26 312 $ (40 heures au salaire minimum) paie 2 747 $ d’impôt sur le revenu et gagne donc un revenu net de 23 565 $ par année ou 1 963,75 $ par mois. Une personne doit gagner moins de 20 280 $ par année (assujetti à un impôt sur le revenu de 1 322 $, soit un revenu net de 18 958 $, pour gagner un montant inférieur au seuil de 18 960 $ donnant droit à l’aide juridique), ou travailler 30 heures par semaine ou moins au salaire minimum (20 280 $ ÷ 12,65 $ = 1603,2 heures ÷ 52 semaines = 30,83 heures par semaine).
- Note 4
-
Nye Thomas, « Ontario’s financial eligibility standard for legal aid: falling behind the rest of Canada », 11 mars 2014.
- Note 5
-
Ab Currie, « The State of Civil Legal Aid in Canada: By the Numbers in 2011-2012 » (Toronto: FCJC, 2013); voir aussi professeur Michael Trebilcock, Report of the Legal Aid Review 2008 (Rapport remis à l’honorable Chris Bentley, procureur général de l’Ontario) (Toronto: AG Ontario, 2008).
- Note 6
-
Alex Balingall, « Justice Denied: Huge legal bills push many to self-represent in court » (Toronto Star, 11 avril 2016).
- Note 7
-
Ibid.
- Note 8
-
Alyshah Hasham, « Self-represented defendants are a tricky problem for justice system » (Toronto Star, 16 janvier 2017).
- Note 9
-
Michelle Mcquigge, « Self-representation in court on the rise, experts say » (Toronto Star, 25 octobre 2017).
- Note 10
-
Statistiques internes.
Allocution prononcée par le très honorable Richard Wagner, C.P.
Juge en chef du Canada
À l’occasion de la 7e Conférence annuelle sur le travail pro bono
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 4 octobre 2018
- Date de modification :